(du côté du livre)
Il faut travailler ces textes avec un bon dictionnaire et quelques bons ouvrages documentaires à portée de main, non pas tellement pour retrouver la définition ou l'apparence de tel ou tel coléoptère désigné (les illustrations de Pierre-Yves Gervais suffisent à persuader de l'exactitude des évocations), mais pour vérifier qu'anacoluthe est bien une figure de rhétorique et non une sous-classe d'invertébrés, qu'Arégonde et Eustère, Clodomir et Caribert sont des noms de rois et reines mérovingiens... Un peu de "poussière d'élytres".
Le jeu est lancé dès le titre, Anacoluptères, mot-valise (compression de anacoluthe et du suffixe "ptère" utilisé pour beaucoup de classes d'insectes). Dans l'énumération qui ouvre et clôt le recueil, chacun retrouve assez d'insectes connus, certifiés conformes, pour que soient acceptés le balancement de l'ensemble entre la précision de certaines descriptions et les jeux de l'écriture, l'entrelacement des références savantes (scientifiques ou poétiques) et ce que l'auteur appelle le "caractère" de son vocabulaire (qui ne craint pas d'accueillir des termes du patois poitevin, ceux-là même qu'il utilisait jadis) ou "l'allure" de sa grammaire (qui n'hésite pas à recourir à des structures syntaxiques moins orthodoxes) :
Un poème comme un doigt levé ou comme
Un coup de balai bien donné, vraiment?
Le voilà-t-y qui ruse encore,
Autrement que j'ai pu penser ?"
Un texte peut multiplier les dénominations (libellule, zygoptère, demoiselle, agrion) et déjouer les lois de l'équilibre syntaxique pour les besoins et les plaisirs du rythme, là où une autre évocation, celle de la nèpe par exemple, fera le choix de la lenteur. Un texte peut faire briller les sonorités comme "un bijou de roi mérovingien, Clodomir ou Caribert"; un autre jouera de la paronomase, rapprochant des mots de sonorités voisines : le carabe doré devient "Baron presque bourgeois châtelain de Carabas sous les salades...". Le mot coléoptère "ramassé dans un maximum de couleur carapace élytres strictement serrées caillou creux presque coquille et nacre d'escargot sec dans un champ de petite luzerne..." devient "émeraude rare".
"Si le poème parle d'insectes (alors que ça pourrait être de tout autre chose) on peut se demander si c'est une ruse pour surprendre en l'arrangement de ses propres mots ce qui le fait poème, ou si vraiment c'est pour être (mais comment?) avec la nicole qui voulait pas s'envoler de nos doigts d'enfants...?".
"Beaux oiseaux devenez près des herbes et des arbres le vert de la mémoire..."
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Quelques pistes
Une fois les repérages d'ensemble faits sur le dispositif textuel - mais il y faut du temps - on pourra demander aux élèves, par groupes, de classer les mots d’un poème selon plusieurs critères ( les mots qu'ils connaissent ou reconnaissent et les autres, les mots du vocabulaire scientifique et ceux du langage quotidien, les mots du souvenir, ceux qui renvoient à l'enfance, ceux qui sont du présent de l'écriture, les mots et les tournures qui surprennent, ceux qu'on aimerait retenir..) afin de retrouver la polysémie et la densité du tissage.
On proposera aux groupes de transposer le poème en une affiche présentant les collections de mots retenues les plus significatives pour s'approprier ensemble la "matière du langage".
On leur proposera de faire un relevé systématique des moments et lieux cités, là où le poète se met en scène: l’enfance, l’époque évoquée, les façons d’être au monde et aux autres… afin d'approcher le portrait du poète, le JE tel qu’il se présente dans l'ensemble du recueil.